Le Monde avait mis sa culotte à l'envers.
Et des Saint Eloi de partout
le lui claironnaient à l'oreille.
Le Monde avait mis sa culotte à l'envers,
une belle culotte garance
retournée
en couleur de boue, de sang, de plomb.
Les pères avaient perdu l'habitude
de marcher la tête droite,
les dos s'étaient chargés
du poids des morts.
L'avenir marchait à l'envers.
Un matin de février,
les peurs les plus glacées
s'étaient assemblées
à la Capitale.
Brunes, sombres, hurlantes,
cherchant qui accuser
et qui couvrir d'opprobre.
La vague a déferlée jusque dans les ruelles.
Comme à Rome ou Berlin,
les peurs se mettaient en rangs bien droits.
De les voir au grand jour,
les plaies se dévoilaient,
les purulences suintaient.
Le premier choc passé,
les petits,
les indifférents,
ceux qui travaillaient trop et
ceux qui ne travaillaient plus,
les enfants mal grandis
et les femmes harassées,
se sont réveillés.
C'était le premier souffle,
la première respiration,
la première marche
vers quelque chose
qui ne se devinait qu'à peine.
Comme un vague espoir
qu'un jour peut-être
les enfants marcheraient
plus souplement
que ne l'avaient fait
les grands-parents
et leurs parents avant eux.
Mais que quoi que l'on obtienne
le plus important
était de resister
à cette tentation
de baisser la tête
de courber le dos
et d'obeir encore.
Alors, ils ont marché.
D'abord un peu timides,
éparpillés,
séparés.
Les gars des syndicats
et même ceux des partis,
n'avaient rien dit de précis.
Mais en arrivant,
ce matin-là,
sur la grande place
où débouchaient les faubourgs,
Les rangs se sont mêlés.
Parce que face au brun qui montait,
il n'y avait plus que ça à faire.
C'est un matin de février
qu'on les vit
marcher ensemble,
pour la première fois,
déborder la chaussée,
envahir les trottoirs.
On allait les revoir souvent
dans les deux ans qui suivirent,
et même si les histoires d'amour
finissent mal en général,
celle qui commenca le 12 février 1934,
entre Nation et République,
a laissé tant de traces
dans nos espoirs
que je ne peux l'oublier.
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