En hommage au Gabian qui me l'a demandé, je précise AVANT le texte que celui-ci est ancien (2005).
La seule différence avec maintenant, c'est que je ne vends plus de frites au black mais de beaux gâteaux avec un cdi au smic.
Wouahou, j'm'embourgeoise !
J'attaque ma troisième année au même endroit et ça, ça ne m'était jamais arrivé avant en ...27 ans de boulot
Quand j'étais une très petite jeunette de printemps
J'ai eu une révélation.
Une vraie.
De celles qui te marquent pour la vie toute entière
jusqu'à ta mort et orientent le moindre de tes choix.
Je rentrais benoîtement de l'école, rien de spécial à l'horizon,
Pas de comète traversant le ciel
Ni de trompettes retentissant dans les nuées.
Rien.
Mais tout à coup, entre deux pensées vagues
Une évidence, une fulgurance,
la Vérité frappant à la porte de mon cerveau :
Quoi que l'on fasse, on trouve toujours moyen de vivre jusqu'à l'heure de sa mort.
Ca n'a l'air de rien, mais il ne faut pas oublier que je n'avais encore jamais
Entendu parler de Monsieur de la Palisse.
Les implications induites par cette révélation s'enchaînèrent dans mon esprit à la vitesse d'une réaction moléculaire :
Pourquoi me prendre la tête pour organiser ma vie puisque je serai vivante jusqu'à ma mort ?
C'est ainsi que je devins la petite fille la moins obsédée de son avenir qu'il me fût donné de connaitre.
Pas une glandeuse, ni une roublarde, non,
Juste une inadaptée chronique incapable de s'inquieter de ses jours futurs.
Je ne peux pas dire que cette particularité de caractère
A amené la paix et la sérennité à mon entourage au fil des années.
Non, franchement, on peut pas dire.
Mais elle n'a pas eu que de mauvaises conséquences.
Bien sûr, je n'ai pas fait les études qui auraient dû être les miennes,
Je n'ai pas fait de carrière
Et mes coups de tête n'ont que peu fait rire
Mes banquiers au cours du temps qui passait.
Mais, je n'ai, en contre-partie, jamais travaillé pour des cons plus de quelques semaines, je ne suis jamais resté à ma place et je n'ai que bien rarement laissé ma langue dans ma poche.
J'ai appris une vingtaine de métiers différents et suis autant capable de monter un mur de pierres à la chaux ou de poser une toiture en ardoises taillées à l'ancienne, que d'organiser des réunions de marketing, faire l'attachée de presse ou rédiger un texte sur commande.
Naturellement, je sers aussi en terrasse, fais valser les friteuses à la demande et repasse en pressing entre deux postes de chargée de clientèle ou de truc-muche au fond d'un bureau.
Tout ça pour vous dire, qu'au-delà de tous les inconvénients de ma révélation, je ne regrette pas mes choix.
La majorité d'entre eux tout au moins.
Ainsi, je n'ai jamais, ou presque, gagné ma vie avec mes passions.
De moins en moins, en fait.
Plus je vieillis, plus je suis sensible à la morale et à la déontologie.
Et c'est pas pratique pour manger.
Mais c'est mieux, pour dormir.
Vu de l'intérieur, les milieux universitaires et enseignants, ceux de presse ou d'édition, les associatifs et les créatifs, les gens de scènes ou de lumière, n'ont plus que leur être à te donner.
Et, ce n'est franchement pas toujours reluisant.
Je n'ai pas su faire à l'époque avec les compromissions nécessaires
Je le regrette pour deux trois trucs,
Comme ces duchmol d'études d'histoire jamais finies qui me manquent tant aujourd'hui.
En toute modestie (tu parles...), ce ne sont pas les connaissances qui me manquent, mais, la peau d'âne.
Celle qui me permettrai de trouver une planque au smic quelques heures par jour au lieu de faire valser les friteuses au fond d'un snack avant de cavaler à l'autre bout de la ville pour trifouiller mes archives.
L'envie du piston et de l'emploi fictif me gagne, ça doit être un effet de l'hiver finissant, ça va passer.
Je le sais.
Et finalement, les frites, c'est pas si mal, au moins t'as la conscience nette, à défaut d'avoir les mains propres.
Surtout si tes frites sont chaudes et que tu n'oublies pas le sel.
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